J’ai imaginé "Les 3 Inventeurs" comme mon chef d’œuvre, mais chef d’œuvre au sens d’ouvrier-compagnon. Gédéon avait été une épreuve, je n’étais pas content du résultat. Je voulais passer à un autre niveau et montrer que je savais faire autre chose et que je n’étais plus un apprenti (c’était complètement faux, j’étais encore un apprenti et je ne savais pas grand chose, j'inventais à mesure). Le chef-d'œuvre des compagnons-ouvriers est un objet exceptionnel qui prouve sa maîtrise, qu’on ne fait qu’une fois dans sa vie et qu’on met ensuite dans une vitrine. Une des nombreuses choses qu’on m’a reprochées lorsque je faisais Gédéon, c’était d’avoir utilisé du papier découpé, une technique d’amateur et pas de professionnel. J’ai pris le contre-pied de cette idée et j’ai franchement fait tout le film au papier, et en papier blanc et éclairé de côté pour que l’on voit bien que c’était du papier à découper et en jouant sur le fait que c’était la matière papier, en la découpant, pliant, détruisant.
Il s’agissait de montrer ce que je savais faire, de me faire connaître, d’obtenir des prix dans les festivals et de recevoir des commandes. Les prix, je les ai eus, les commandes non. Mais j’ai eu tellement de plaisir à le faire. Ce film c’était moi, j’ai tout dessiné, et tout fait. Je l’ai en plus tourné chez un auteur de film d’animation que j’admirais, et que j’admire toujours, Jean-François Laguionie. Ce n’était pas un choix que j'avais fait, je n’étais pas en mesure d’émettre des choix, c’est simplement que la productrice avait trouvé le banc-titre le moins cher de France. La caméra n’avait pas d’ailleurs de viseur, je voyais les cadrages seulement avec une grande feuille de celluloïd posée sur la table où les cadrages étaient indiqués en fonction de la hauteur de la caméra. Cette caméra montait et descendait grâce à une manivelle très dure à manipuler. Il n’y avait pas de mise au point automatique et chaque fois que je changeais la hauteur de la caméra, j’oubliais de faire la mise au point. Comme il n’y avait pas de visée, je ne m’en apercevais qu’une fois le travail fait, la bobine terminée, envoyée au laboratoire, puis re-expédiée à l’endroit de tournage où il n’y avait pas de quoi la visionner. J’allais dans une petite ville à côté, dans un cinéma où on me projetait deux fois ce que j’avais fait dans un bruit d’enfer, car j’étais dans la cabine du projectionniste avec de vieux appareils. Il fallait que j’analyse et que je note dans ma tête à toute vitesse.
Donc, il s’agit de papier blanc et de napperons qu’on trouve sous les gâteaux. Avec ça , j’avais une paire de ciseaux, un peu de fil et du ruban adhésif.
Le musicien Robert Cohen-Solal, qui était chargé du bruitage, n’a lui aussi utilisé que du papier, sauf pour le son de la clochette.
Christian Maire, le compositeur de la musique, avec qui j’ai fait encore beaucoup d’autres films, a aussi joué le jeu de la mécanique. Il n’a pas utilisé d’instruments en papier parce qu’il n’en avait pas, mais il a utilisé un célesta par exemple, un instrument un peu archaïque, et au lieu d’éviter tous les bruits annexes de la mécanique de bois, Christian a mis le micro dans l’appareil pour qu’on les entende.
J'ai exécuté tous ces éléments dans ma chambre en 5 mois, dans la solitude et le silence. Puis le tournage, tout seul, a duré trois mois. C'était dans le silence aussi, la maison était perdue dans les Cévennes, et il neigeait. Je travaillais du lever au coucher, j'accomplissais quelque chose, j'étais heureux.